Pourquoi la Sonate en ré mineur de Gabriel Pierné figure-t-elle si peu aux répertoires des violonistes ? Ecrite alors que le XXe siècle commençait, crée par Jacques Thibaud le 23 avril 1901, ce poème en trois mouvements déploie des atmosphères prégnantes, et exige de l’archet une longueur infinie où peuvent se déployer les volutes d’une écriture pétrie de symbolisme. On n’a jamais été aussi près d’une transposition en musique de l’Art Nouveau, jusque dans l’harmonie profuse qui distille des lumières de vitrail.
Tout cela, Elsa Grether le dit de son violon intense, qui ne craint pas la virtuosité terrible d’une écriture complexe, ni d’ailleurs d’en outrepasser la beauté formelle pour y faire entrer des caractères, une tension, une fantaisie que le piano orchestral de François Dumont pare d’une sonorité pleine, si suggestive. Ils vont plus loin dans l’étrange beauté de cet opus que jadis Gérard Poulet et Noël Lee, c’est dire.
Face à cette œuvre solaire, placer le long flot romantique de la Sonate que Vierne écrivit pour Ysaÿe est un défi. Elsa Grether doit abandonner le jeu de haute fantaisie convoqué par Pierné pour animer ce vaste récitatif, comme ininterrompu malgré les quatre mouvements, où tout un kaléidoscope d’émotions se bouscule. L’archet parle sous ses doigts, et le piano alerte, allusif, subtil de François Dumont donne des arrière-plans dramatiques qui enserrent ce violon sans jamais l’étouffer, secret de cet équilibre délicat sans lequel l’œuvre perdrait et son sens et son impact.
En complément, deux brèves pièces que Gabriel Fauré ne destina pas initialement au violon, mais où Elsa Grether chante de son archet subtil. Disque parfait qui appelle une suite : confronter les Sonates de Guillaume Lekeu et de Georges Antoine serait une idée.